En France, ce n’est pas le privé qui règne sur le parc immobilier, mais bien des acteurs publics d’une ampleur rarement mesurée. La Caisse des Dépôts et Consignations, à travers ses filiales, orchestre la gestion de centaines de milliers de logements et de surfaces tertiaires. Un mastodonte qui surpasse, sans forcer, les plus grandes foncières cotées et les institutionnels du secteur.
Les géants privés, même parmi les plus emblématiques, restent à bonne distance en volume. Unibail-Rodamco-Westfield s’illustre dans l’univers des centres commerciaux, tandis que Gecina s’impose sur le marché des bureaux. Ce regroupement d’actifs immobiliers alimente les débats sur l’accès au logement et sur la délicate stabilité du marché.
Panorama du marché immobilier français : qui détient le plus de biens ?
Le paysage immobilier français est avant tout animé par les particuliers. Les ménages représentent la première force de propriété, loin des clichés sur la domination des institutions. Selon l’Insee, près de 36 millions de logements jalonnent le territoire, dont plus de la moitié sont occupés par leurs propriétaires en résidence principale. Ce poids collectif est considérable.
Mais il faut aller au-delà de ces résidences principales. Le tissu du patrimoine français se compose aussi de résidences secondaires et de logements destinés à la location. Près de 17 millions de foyers détiennent au moins un bien immobilier, preuve d’une propriété largement répartie, très éloignée d’un quelconque monopole silencieux. Paradoxalement, les grandes fortunes, banques et foncières ne rivalisent pas avec la somme inouïe des biens éparpillés entre les particuliers.
Voici quelques chiffres qui parlent d’eux-mêmes :
- 56 % des Français détiennent leur résidence principale.
- 2,9 millions de ménages possèdent une résidence secondaire.
- La valeur du patrimoine détenu par les ménages atteint plusieurs milliers de milliards d’euros.
La propriété des Français ressemble à une mosaïque, pas à une construction hiérarchique. Multiplicité des profils, diversité des parcours, ce tissu morcelé façonne les dynamiques du marché, influe sur l’évolution des prix et pèse lourd sur les conditions d’accès à la location.
Pourquoi la concentration immobilière s’accentue-t-elle en France ?
La concentration immobilière s’intensifie, portée par un mécanisme implacable : la raréfaction du foncier, la hausse constante des prix et des dispositifs fiscaux qui soutiennent les détenteurs. Face à une progression modérée du nombre de logements, surtout dans les zones les plus recherchées, ceux qui possèdent déjà voient leur pouvoir de négociation s’accroître. Ils investissent, bénéficient de transmissions, accumulent.
C’est une dynamique qui s’entretient d’elle-même. L’investissement locatif, aidé par des taux très bas jusqu’à 2022, a permis de multiplier les acquisitions. Au quotidien, l’immobilier réorganise les modes de vie. Les prix qui montent éloignent certains candidats à la propriété, compliquent l’accès au crédit, accentuent les inégalités. Pour une large part de la population, la perspective d’acheter recule, tandis qu’une minorité renforce ses positions.
À ce phénomène s’ajoute le poids déterminant des transmissions patrimoniales. Les grandes familles ou les institutions élargissent leur emprise génération après génération. Autour d’eux, le marché se structure, raréfiant les opportunités pour les nouveaux entrants.
Voici trois phénomènes qui illustrent cette dynamique :
- Les prix grimpent sans relâche dans les métropoles
- Les jeunes rencontrent de réelles difficultés d’accès à la propriété
- La fiscalité favorise la stabilité des patrimoines transmis
L’accès au logement se déséquilibre : certains capitalisent, d’autres peinent simplement à se loger. Les loyers s’envolent, la tension monte, et la fracture se creuse.
Les plus grands propriétaires d’immeubles : chiffres et acteurs clés
En cherchant le principal détenteur d’immeubles en France, on découvre une réalité bien moins visible. Ce n’est ni un grand nom côté en Bourse, ni un organisme d’État, mais une famille discrète qui s’est hissée au sommet : la famille Ruimy. Issue de la communauté franco-marocaine, elle gère un patrimoine colossal, estimé à plusieurs milliards d’euros, concentré avant tout dans la capitale. On retrouve ses immeubles près des adresses les plus célèbres, des Champs-Élysées à la place Vendôme ou à la rue Saint-Honoré. Leur savoir-faire se déploie dans l’art de détenir les plus beaux emplacements, à l’ombre de holdings sophistiquées, notamment au Luxembourg.
Impossible d’obtenir des chiffres exacts tant le montage juridico-financier est opaque. Certaines estimations évoquent plus de deux milliards d’euros d’actifs, ce qui dépasse largement la plupart des groupes historiques. Leur méthode ? Miser sur des emplacements d’exception, optimiser chaque mètre carré, garder le contrôle sur toute la chaîne immobilière.
On peut résumer la domination de ces grands acteurs à trois points :
- La majorité du patrimoine concentrée à Paris intra-muros
- Des structures juridiques complexes qui renvoient souvent vers l’étranger
- Une valorisation qui atteint plusieurs milliards d’euros selon les analyses
Dans ce schéma, les institutions, compagnies d’assurance, banques ou foncières n’occupent plus que l’arrière-plan, même si leur influence reste réelle. Le cas de la famille Ruimy symbolise ce pouvoir feutré et déterminant sur la carte de l’immobilier français.
Quels enjeux pour le marché locatif et les locataires ?
Ce modèle pèse directement sur la réalité du marché locatif. Lorsque quelques détenteurs rassemblent une grosse part du parc, les difficultés d’accès au logement s’intensifient, en particulier dans les métropoles. Trop peu d’offres, beaucoup de concurrence, et des loyers qui dépassent souvent les capacités des candidats.
Presque la moitié des foyers français sont locataires. Pour les plus vulnérables, le logement social est souvent la seule issue acceptable. Malgré cela, c’est bien le secteur privé qui domine et limite les alternatives abordables. L’évolution des patrimoines privés et institutionnels, fréquemment analysée, influe directement sur la fixation des loyers dans les grandes villes françaises.
On peut retenir trois conséquences majeures pour les locataires :
- L’accès au logement se dégrade pour les ménages aux revenus modestes
- L’offre sociale est loin de couvrir toute la demande, même croissante
- Les prix et l’organisation du marché en ressortent profondément modifiés
Les différents impôts sur la fortune n’ont pas amorcé de rééquilibrage dans la répartition immobilière. L’optimisation fiscale et la taille des portefeuilles patrimoniaux confortent le modèle dominant. Au bout de cette chaîne, les locataires prennent de plein fouet cette réalité : contraintes, choix réduits, pouvoir d’achat en berne.
Finalement, la propriété immobilière française ne répond pas à un schéma unique. Elle se fragmente, se transmet, s’accumule, et façonne le quotidien de toutes celles et ceux qui veulent se loger. Aujourd’hui comme hier, posséder, c’est encore décider pour des millions de personnes. L’histoire de la pierre en France n’a pas terminé de faire parler d’elle.


